Les Ô troubles

Les Ô troubles

Bourreaux de père en fils, Les Sanson, 1688-1847, par Bernard Lecherbonnier, aux éditions Albin Michel, 1989

        Je ne vais pas reprendre dans cet avis ce que l’on sait déjà, ou ce que tous les livres sur le sujet peuvent nous apprendre de l’histoire des peines capitales, de leur administration, des périodes de l’histoire traversées par les Sanson, etc. sinon cet avis serait trop long. Non, ici je vais essayer de vous montrer ce que le livre apporte au sujet.

 

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        Un bien étrange sujet d’ailleurs que celui de ce volume vous dites-vous ? Et bien absolument pas ! Comprendre une société, et particulièrement en histoire, implique de ne pas choisir ce qui lui appartient, mais de l’observer de manière objective, et dans sa totalité.

Le bourreau, objet de tous les fantasmes, de toutes les méconnaissances et j’en passe, fut longtemps un être porté par le peuple, réclamé par la foule, pivot et pion indissociable d’un certain équilibre. Certes, son métier implique une cohabitation avec la mort qui se veut quotidienne et qui a de quoi surprendre, voire rebuter. Mais à la lecture de cet ouvrage, rédigé notamment à partir du journal tenu par les intéressés, on en apprend bien plus sur ce personnage, et de fait, sur sa société.

 

Comment devient-on bourreau ? En quoi consiste exactement cette charge ? Quels en sont les réels avantages et inconvénients ? Exerce-t-on par « plaisir » ? Etc.

 

        Aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est par amour pour une femme que le premier Sanson va revêtir le costume bleu et rouge. Son histoire commence à la manière d’un texte épique, qui s’achèvera par une violente chute de cheval, en Normandie. Blessé, il sera soigné par un mystérieux colosse et sa jeune fille, dont il s’éprendra au point de vouloir l’épouser. C’est ce choix qui le conduira à devenir l’héritier du père de cette dernière, qui n’est autre que le bourreau. Nous sommes alors en 1675 et un avenir plutôt brillant s’ouvre au jeune Sanson.

        En 1688, il obtient la charge de Paris et plusieurs générations dépendront de ce choix. On est bourreau de père en fils, on épouse le plus souvent une fille de la caste (bien que ce ne soit pas toujours le cas), on se côtoie, s’aide et s’accueille entre « gens du métier ». Les enfants mâles de l’exécuteur des hautes œuvres assistent parfois très tôt leur père dans sa tâche. (Parfois trop tôt même, et le coup d’épée peut se révéler maladroit…)

 

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Portrait imaginaire de Sanson par Eugène Lampsonius

 

        On serait cependant bien mal avisé de croire que le chef de famille est le seul impliqué dans le métier. Bien au contraire, les femmes de la lignée se feront remarquer à diverses reprises. Je ne peux pas citer ici toutes leurs apparitions, cependant quelques exemples peuvent être révélateurs :

 

        Ainsi, lorsqu’en 1625 une femme des environs de Dijon, accusée d’infanticide, est condamnée à la peine capitale, le bourreau déclare être dans une bien mauvaise forme pour exécuter son office. Contraint d’honorer sa tâche, il échoue lamentablement à ôter la vie de la suppliciée. C’est alors son épouse qui s’acharne à achever cette pauvre Hélène Giller, déjà douloureusement amochée…

Ce fait est révélateur de bien autre chose qu’un simple acte de solidarité entre époux. En effet, le bourreau s’il échoue, s’expose à la vindicte populaire qui peut lui couter la vie, voire celle de sa famille. Il offre un spectacle, à lui de le rendre plaisant et supportable, c’est ambigüe, mais c’est ainsi. Le bourreau est alors un bras armé qui donne la mort à voir, comme il est de mise en son siècle, mais le public n’est pas sans importance : sans lui, le spectacle n’a pas lieu d’être et s’il se met en colère, le spectacle est pris à partie… (Si ce sujet vous intéresse, je vous recommande  J.-P. Foucault bien sûr !).

     

        Une autre femme jouera un rôle essentiel dans la lignée, il s’agit bien évidemment de Marthe Dubut, mère de Charles Jean-Baptiste Sanson appelé bien trop jeune à succéder à son père. Effrayée à l’idée de voir la charge échapper à sa famille (alors qu’elle n’est elle-même pas issue de la caste puisque fille d’artisan) elle se battra pour que sa descendance obtienne quand même les précieuses lettres de provision, ce qui sera chose faite le 9 septembre 1726. Bien trop jeune, « l’enfant devra se trouver sur l’échafaud lors des exécutions, afin en quelque sorte de les légaliser par sa présence ». En 1754, l’histoire se répètera puisque ce bourreau, qui passa bien plus de temps à soigner les gens qu’à présider l’échafaud, fut frappé d’apoplexie alors que son fils n’avait que 15 ans. Marthe Dubut, toujours vivante et obstinée, réitérera ses efforts et obtiendra à nouveau gain de cause.

Mais pourquoi autant de hargne ? Et bien parce que la charge de bourreau rapporte, et bien que ses revenus tendent à diminuer au fil des siècles, ils sont loin d’être négligeables : l’état met un impôt à sa disposition ainsi que toute une série d’autres avantages, dont de nombreux prélèvements. À cela s’ajoute que la famille ne se voit plus forcément forcée de vivre au lieu de mort et qu’un certain confort l’accompagne désormais. De plus, la « réputation » de ses origines serait un frein à toute autre carrière pour le descendant qui ne voudrait pas remplir l’office. Enfin, leurs dépouilles obtiennent le très convoité privilège d’être enterrées directement dans les temples…

 

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     Exécution de la veuve Derues, flétrie et condamnée, 1779 

(B.N.F. Estampes Hennin 9734)

 

        Parfois, les avantages tirés de la situation ne sont pas exactement ceux que l’on attend d’un bourreau dans l’imaginaire collectif. En effet, ils sont aussi ceux qui exercent la médecine et en tirent un certain revenu. Ne sont-ils pas bien placés pour connaitre le corps ? D’ailleurs, longtemps les Sanson s’attacheront à développer cet aspect de la profession. (Rappelons aussi que c’est parce qu’il a été soigné par un bourreau que le premier Sanson dans la fonction à rencontré son épouse et sa destinée…)

D’autres anecdotes sont moins flatteuses, comme le profit tiré de la dépouille de Cartouche, en conservant le corps quelque temps pour en monnayer toutes les visites…

 

        Ce livre vous en apprendra beaucoup sur le quotidien de ces hommes et de ces femmes, certains modèles de mode (oui, oui !), d'autres, férus de chasse, de littérature, de musique… C’est un aspect que j’ai réellement trouvé nécessaire pour appréhender le sujet, parce qu’un bourreau n’est pas qu’une main armée. D’ailleurs, le Sanson qui officiera pendant la Révolution  et la Terreur (nous y reviendrons) ne sera absolument pas insensible aux nombres de condamnés qui le hanteront littéralement (plus humain peut-être que les juges… ?)

 

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"Le véritable portrait de Cartouche, tiré d'après nature étant les cachots"

(B.N.F. Estampes, D 105 341)

 

        Un autre aspect est prépondérant dans le travail de Bernard Lecherbonnier : la relation entretenue entre le bourreau et ses contemporains, loin d’être aisée à comprendre. D’une part, il est un véritable maître de cérémonie lors d’exécutions aux allures de fêtes populaires, d’autre part, il est l’exécuteur au service du Roi. Il est celui qui pratique la médecine et peut secourir les souffrants, celui qui vit au sein du peuple, en partage le quotidien et en est aussi craint. Il est encore celui qui donne la mort lors de peines qui ne sont pas toujours jugées acceptables par l’opinion publique, et en devient un complice détestable de la justice à laquelle il obéit trop aveuglement. Il est celui dont on salue autant que l’on décrie le travail. Cet ouvrage n’éclaire pas tous les pans de ces spécificités, en revanche, il est très enrichissant lorsqu’il s’agit de comprendre la relation entre exécutions et avis ou intérêt de ses contemporains.

 

        La mort donnée peut parfois servir la Monarchie, en étouffant par exemple quelques affaires embarrassantes. Ainsi, le 24 mai 1726, une condamnation au bûcher (supplice devenu rare alors) permettra de faire disparaître une liste de noms bien compromettante, retrouvée chez le condamné Benjamin Chauffours, convaincu de pratiquer et de propager l’homosexualité…Une fois mort, les biens du condamné son confisqués et la dangereuse liste détruite en toute impunité. Ce type de condamnation ne fait pas exception, et Sanson sert avant tout son souverain sans jamais remettre en question la justice qu’il rend. Mais il est aussi le pivot qui met en relation les ordres venus d’en haut, et l’accueil qu’ils reçoivent plus bas…Situation parfois dangereuse...

 

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L'exécution de Lally -Tollendall

(B.N.F. Estampes, Hennin 9251)

 

        Longtemps, on a flagellé, pendu, roué. Nombreux sont ceux qui se ruaient vers les échafauds, hommes, mais aussi et surtout femmes et même enfants. Le spectacle des prostituées marquées et exposées au carcan fut, par exemple, particulièrement apprécié. D’ailleurs, ces peines n’avaient aucune raison d’être sans le regard des « spectateurs » qui par là, interviennent directement dans le processus.

 

        Cependant, d’autres affaires soulignent à quel point, à travers ces moments forts que sont les exécutions, on peut pressentir un changement dans l’opinion publique…

L’affaire Louis Louschart, qui convaincra d’ailleurs Louis XVI d’abolir le supplice de la roue, est en ce sens exemplaire. En 1788, le jeune Louschart est condamné, par une institution royale, pour parricide. En plein conflit avec son père, il le tue malencontreusement (et réellement malencontreusement puisque c’est ce que nous appellerions aujourd’hui de la légitime défense) en repoussant son attaque. L’un et l’autre étaient en guerre depuis un certain temps déjà : l’un jeune et novateur, l’autre âgé et conservateur, soit un mélange explosif au sein d’une famille qui en vient alors à se diviser. Lorsque le vieux père se met en tête d’épouser la jeune femme que son fils convoite, la discorde est consommée et la dispute éclate, elle sera fatale au plus âgé…L’exécution du parricide est fixée au 3 août 1788, mais c’était sans compter sur un peuple hostile à la décision…La foule s’empare alors de la roue, libère le supplicié dans une exaltation de joie menée par la jeune fille convoitée et par les amis de Louis Louschart. Sanson ne sera pas inquiété, on en veut à ses outils, et non à sa personne. A cette affaire pourraient s’en ajouter d’autres, comme celle des Trois roués (je vous invite à la découvrir dans l’ouvrage) mais toutes diraient la même chose : le vent tourne et le peuple proteste…

 

        C’est ainsi que peu à peu, le peuple frissonne et s’engage dans une Révolution qui se voudra bien plus meurtrière que ce qu’elle promettait d’être.

L’auteur consacre une très large partie de son œuvre à cette période. Je ne reprendrai pas tout le pan politique qu’il y développe parce que n’importe quel livre d’histoire vous renseignera à ce sujet. Ce qu’il souligne en revanche avec exactitude c’est à quel point Sanson est devenu un donneur de mort à la chaîne, consacrant parfois moins de deux minutes pour chaque condamné, qui seront bientôt tous conduits par charrettes entières à l’échafaud. Il sera fort décrié par un grand nombre de révolutionnaires, mais il n’empêche que, c’est cocarde au chapeau, qu’il officiera sous les ordres des multiples gouvernements qui hanteront cette sombre période.

 

        Le plus grand changement qui touchera les bourreaux à cette époque, outre l’accroissement sidérant du nombre de condamnés, reste l’apparition de la guillotine. En avril 1792, des tests sont effectués sur la tristement célèbre machine, et depuis le 3 juin 1791 il est enregistré par l’Assemblée constituante que tout condamné à mort aura la tête tranchée. C’est la fin des variations de la peine en fonction de l’appartenance sociale (pendaison pour le peuple, tête tranchée pour les nobles). Plus humaine et plus légal cette mort ? Certainement pas…

 

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Octobre 1793, exécution de 9 émigrés

(Tiré du livre La guillotine en 1793,  d'H. Fleischmann, 1908)

 

        Avec ce nouvel « outil » en mains, Sanson deviendra un acteur (bien malgré lui parfois) d’une période que sera un véritable défit pour lui. Les tribunaux condamnent par « fournées » des hommes, des femmes et des enfants, victimes hagardes de la folie des hommes. Parfois même, par doute, deux personnes portant le même nom périront parce que ce nom a été dénoncé et qu’on ne prendra même pas le temps de chercher lequel des deux homonymes est réellement concerné… Sous la Terreur, les dossiers de défense ne sont même pas lus, les condamnations signées avant la date du procès, sans parler des pères tués à la place des fils et vis versa. Une femme enceinte doit avoir accouché avant d’être conduite à l’échafaud, on refusera donc à un certain nombre d’entre elles le droit à la visite médicale qui aurait pu déclarer leur état. Les prisons sont trop pleines ? Et bien, montons un faux soulèvement, choisissons les coupables, et faisons de la place dans les prisons…pour les suivants. En soulignant avec minutie tous ces évènements qui ne sont absolument pas isolés, l’auteur souligne à quel point le bourreau s’épuisera à la tâche au nom de…la démocratie et des Droits de l’Homme… (« Ô Liberté, combien de crimes on commet en ton nom » : phrase prononcée devant Sanson lui-même par la condamnée Madame de Roland)

 

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Tribunal révolutionnaire

(Tiré du livre La démagogie en 1793 , par Dauban, Plon, Paris, 1868)

 

        Par la main de Sanson périront d’illustres personnages comme le Roi déchu (21 janvier 1793) sa chère et célèbre épouse (16 octobre 1796), Robespierre (28 juillet 1794)…

Je ne peux revenir ici sur toutes les exécutions, parce que je remplirais 100 pages, mais elles répondent presque toutes aux mêmes caractéristiques voulues : rapidité, « propreté », démonstration de force. L’orgueil d’une petite minorité provoquera bien des ravages…les pieds dans le sang et la cocarde à la main !

        Marie-Antoinette, par exemple, était une femme souffrante, les médecins d’aujourd’hui s’accordent à dire qu’elle était condamnée par un très probable cancer de l’utérus, d’où l’urgence de son procès. Quel spectacle avez-vous alors offert au « peuple » messieurs ? Où est le courage lorsqu’à bout d’arguments et sans preuve, vous en êtes venus à l’accuser d’inceste pour sauver la face ? Les femmes présentent dans la salle d’audience ce sont elles-mêmes soulevées pour condamner cette sordide accusation ! Certes, aujourd’hui les historiens s’accordent à dire qu’elle était bien coupable de chercher de l’aide dans les pays voisins, notamment son Autriche natale. Mais qu’auriez-vous fait vous-même si on faisait croupir vos enfants en prison tout en publiant d’immondes pamphlets à votre propos, par pure haine ? Le Roi est mort, le Dauphin se meurt, la Reine est réduite à un enfermement sévère et mortifère… Il serait temps de le reconnaitre : tout n’était qu’ambition personnelle, et je préfère porter le deuil le 21 janvier et le 16 octobre que fêter ce grotesque 14 juillet !

Bref, je change de sujet là…

 

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Marie-Antoinette au Tribunal révolutionnaire

Gravure d'après Paul  Delaroche

 

        Après cette longue et meurtrière période, les bourreaux verront leur rythme de travail diminuer régulièrement: 18 exécutions entre 1840 et 1847 feront du dernier Sanson un bourgeois blasé qui, pour rembourser ses dettes, mettra en gage… la guillotine ! Une fin presque burlesque… (L'auteur passe très vite sur cette période...)

 

        Voilà, je vous laisse choisir si oui ou non vous voulez découvrir ce livre, parfois chargé d’une multitude de détails politiques (notamment dans la seconde partie) qui peuvent égarer le lecteur, mais d’une richesse incroyable sur ces étranges humains qu’étaient les Sanson…Pour ma part, je salue ce travail qui m’a réellement enrichie sur le sujet. Avant de vous laisser, je voudrais juste revenir sur un point qui m’a interpellée. Pour sa défense, l’un des Sanson a évoqué le fait que, certes, il donnait la mort pour son Roi, mais dans ce cas, tous les militaires devaient être considérés comme lui…Et finalement, n’a-t-il pas raison sur ce point ?

 

 

 

 



31/08/2014
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