Les Ô troubles

Les Ô troubles

Baroque’n’Roll: Cercueil de nouvelles 1, Anthelme Hauchecorne, Editions Midgard, 2012

        Suivre le procès opposant un diablotin syndiqué à son sinistre patron, jouer à réveiller les morts, vous laisser bercer par la fée des mauvais rêves, aider deux enfants à se défaire d'un croquemitaine ou vous mettre au vert avec le Diable lui-même... Un aperçu des voyages auxquels Baroque'n'roll vous convie, quinze nouvelles insolites portées par un rythme effréné, alternant humour et grotesque, merveilleux et fantasy urbaine.

 

 

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        À l’heure où je me régale de son dernier ouvrage de nouvelles (Punk’s not Dead, aux Editions Midgard), je me dis et me répète que le précédent ; Baroque ‘n’ Roll, doit absolument apparaître ici, ne serait-ce que pour faire les choses dans l’ordre ! Alors me voilà, relisant quelques textes et pianotant sur mon clavier…Mais, qu’il est malaisé de parler d’un auteur qu’on affectionne ! Bien plus que de descendre le dernier bouquin pour midinettes en manque de sensations Grey

 

        Par quoi commencer alors ? Le style de l’auteur à la fois génial et détendu, ou l’humour noir pour clin d’œil douteux ? Je crois que le mieux serait d’évoquer les nouvelles une par une, parce que leur diversité et leur originalité font aussi tout le caractère de ce recueil qui en compte quinze. Chaque texte porte la marque « Hauchecorne » : noir, égayé de sourires malsains, parfois grotesque, mais toujours délicieux ! Ici, le narrateur ne semble jamais se prendre au sérieux, et c’est avec la plus grande décontraction qu’il nous dévoile ses textes pourtant géniaux. C’est un trait que j’apprécie beaucoup dans toutes ses œuvres, de même que le dynamisme des dialogues et la vivacité des propos !

 

        Ainsi, dans Nuage rouge, c’est avec un ton anodin qu’on suit l’existence travailleuse d’un diablotin désabusé, qui décide de s’en prendre à son patron, Belzebuth en personne ! Il souffle un accent démystifié, un petit air de rien sur ces lignes, alors que c’est une belle tranche du monde biblique qui se trouve réduite à peu de choses ! Ce n’est pas l’un de mes textes préférés, mais je l’aime bien (ne cherchez pas à comprendre…)

 

        Dans Permission de Minuit, vous trouverez : un vampire en madame Doubtfire, un père ligoté dans une armoire et des petits monstres qui rient…quel peut être le rapport entre toutes ces personnes ? Allez savoir… Ce texte évoque à nouveau un sujet d’épouvante, mais ce n’est pas du principal suspect qu’il émane (et je ne peux que me ranger derrière la vision de l’auteur…les monstres sont partout !). Dans la catégorie humour noir, l’un de mes textes préférés.

 

        On croyait avoir tout compris au fonctionnement céleste après avoir lu Nuage rouge, et pourtant…Le jardin des peines est la preuve que non ! Ici, le jardin d’Éden est à l’abandon, immense jungle peuplée de créatures répugnantes et dangereuses. Pourtant, certains doivent le traverser pour aller chercher LE fruit, celui-là même qui nous valut assez de problèmes pour qu’on en parle encore aujourd’hui. En plus d’être outrageusement et délicieusement originale, cette nouvelle est cruelle et raffinée. Je veux dire par là que tout est créé, de A à Z, pour qu’on se sente mal dans cette faune tranchante, où le monde connu semble prendre fin ; aucune marque, aucun lien de solidarité et aucun refuge… S’attribuer ce type de sujet et en faire un texte si éloigné de l’iconographie qui lui est propre, voilà un défi de taille relevé ici avec brio !

 

        Courrières, quant à lui, est un texte qui prend ses racines dans les yeux noirs, les mains calleuses et le dos courbé des mineurs, à l’aube du XXe siècle. Ici, les boyaux de la Terre ne peuvent pas asphyxier les démons qui rôdent. Ils sont multiples, certains quotidiens comme l’appât du gain, la haine, etc. D’autres font partie d’un bestiaire bien plus redoutable, du genre de ceux qui vous rappellent que vous n’êtes qu’un simple mortel…Véritablement, c’est la toile de fond qui m’a ici vraiment plu : la mine, les tunnels clos, le danger et la crainte du vrombissement mortel. Lorrain M. Hauchecorne ?

 

        Dans Madone nécrose, l’auteur nous parle du désormais très classique sujet « Zombi ». Mais, ici, ça suinte le pu et l’inattendu ! Il n’y a pas d’aspect survival et on plonge dans une cité à la Sin city, la mort rôde, puis revient, et avec elle, son lot d’insectes nécrophages et de rancunes tenaces. Ce qui m’a semblé le plus sympa dans ce petit texte (qui n’est pas dans mes favoris) c’est la façon dont les cadavres de retour sont considérés, pris en charge, et ce que l’auteur leur attribue de détails gluants. 

 

        Avec Six pieds sous terre, on reste dans le mort, mais plutôt le revenant cette fois-ci. L’histoire m’a d’abord donné l’impression d’un petit conte moralisateur où, immobile dans son fauteuil, Alban est la cible de toutes les moqueries, de tous les quolibets. Puis bien vite, cette immobilité trouve un écho auprès de la rigidité cadavérique et du calme d’un cimetière en friche. Finalement cette histoire, je l’ai trouvée « jolie », aux reflets de L’étrange pouvoir de Norman

 

        Fée d’Hiver quant à elle… son texte court, mais efficace, serait à mettre dans mes trois favoris sans hésiter ! L’auteur nous débarque dans un univers où les indices sont tout juste suffisants pour qu’on prenne quelques repaires avant d’être littéralement envoutés par un récit aux allures de conte de Noël désespéré (pourquoi conte de Noël ? Je ne sais pas, mais c’est à ça que ça m’a fait penser)…C’est la force du détail, les lettres volées, l’étendue des possibilités, qui rendent ces lignes superbes.

 

        Puis c’est au tour du Diable noir d’étaler son récit sous nos yeux… j’adore, j’adore, j’adore ! Eh oui, il y a tout ce que j’aime dans cette carcasse rouillée : un mystère venu du large, du poisseux et des bruits de succion, le silence obscur d’une créature abyssale endormie…Une petite pensée pour Lovecraft, et navrée pour l’auteur à qui l’inspiration est venue des profondeurs nauséeuses…

 

        Cons comme les blés… Un peu moins sensible à celle-ci. Vivant avec un dingue d’OVNI, de Cross circle et autres lumières dans la nuit, me voilà un peu écœurée à présent. L’idée est originale, les dialogues vivants et le récit efficace, mais je ne saurais en dire plus…à part que l’humour de fin de soirée de deux potes peut virer au cauchemar burlesque !

 

        Sur ce, voici Noblesse oblige qui se profile à l’horizon…Histoire cruelle qui voit la beauté condamnée, la pierre l’immortaliser et la tuer. Que se passe-t-il lorsque l’éclat d’une épouse noble rejaillit au cœur du marbre…lorsque la folie d’un époux lui dicte ses actes…lorsque l’amour d’un sculpteur fige l’inimitable ? Je vous abandonne là, à l’entrée de cette riche demeure d’autrefois.

 

        Trêves de comptoir. Désolée, c’est celle que j’aurais supprimée. Les super héros à la Marvel et leurs états d’âme…pas convaincue. Cependant, ce serait malhonnête de ma part de ne pas souligner l’originalité de ce texte et l’effort de l’auteur pour le rendre drôle et distrayant. Mais non, je lui en préfère d’autres.

 

        Nous voici désormais parachutés au dessus du désert irakien, suite à la vicieuse destruction de notre avion. Logique d’ensemble se joue de nous ; et si des petits êtres farceurs et cruels étaient à l’origine de nos catastrophes ? Et si toutes ces légendes de petits trouble-fêtes mystiques s’avéraient vérifiables de nos jours ? Original, ce texte l’est dans son appropriation des êtres maléfiques qui hantent nos contes populaires. Cruel, il l’est aussi…mais ça, je vous laisse vous en faire une idée vous-mêmes !

 

        Faisant suite à ce récit, nous voilà projetés dans un étrange jeu de télé-réalité (l’un des plus abrutissants fléaux du siècle) pour lequel les candidats logent dans un lugubre château. Malheureusement pour les héros d’Enjoy the Silence, n’est pas Nouvelle Star qui le veut et quelque chose de bien étrange semble s’être invité sans avoir passé le casting ! C’est alors toute la petite société du divertissement qui pâlit et se disloque, prise à son propre jeu. Je ne peux pas en dire plus pour ne rien spoiler, mais ce retour à une autre façon de voir le spectacle, de le ressentir différemment, est plutôt appréciable.

 

        L’internat de Tatie Billot : mon adoré ! Ce texte est juste horriblement délicieux, on se délecte littéralement de son aspect malsain ! Un enfant tronc, qui rampe dans les couloirs d’un internat lugubre et sadique. La torture des petits corps et l’odeur de putréfaction, les déjections infâmes et la gloutonnerie répugnante…Autant d’éléments adorables pour former un texte au-delà du tolérable (‘pensez aux enfants !’). La chose s’insinue, se dilate et se rétracte pour pénétrer votre lecture, ne laissant derrière elle que quelques traînées de sueur malodorante…enjoy !

 

        Enfin, c’est Fleurs de cimetière qui ferme la marche de ce cortège déluré et génial : « la Mort fait mal son travail ». Malheureusement, on y a tous pensé un jour. Plusieurs fois même pour la plupart d’entre nous. Mais, quelles solutions proposeriez-vous ? Oseriez-vous passer à l’acte ? Et si vous découvriez que des faits troublants confirment des malversations flagrantes avec la Faucheuse? Vous penseriez-vous fou ? Notre protagoniste prend ici les choses en mains pour déjouer les plans de la Dame noire, mais à ses risques et périls. Un texte troublant et apprêté pour vous emplir de doutes !

 

        Pouvons nous conclure…je l’ignore parce qu’il y aurait mille choses à dire sur ce qui suinte de cet ouvrage : on grince des dents, on sourit, on hésite…mais en tout cas, dans mon cas : on se délecte !

Bref…vous ne l’avez pas lu ? Et bien, vous passez à coté d’excellents moments ! 



29/10/2013
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